Il y a quelques jours, je bêchais la terre… J’ai passé les deux dernières semaines dans une ferme biologique en Malaisie, réalisant ainsi ma première expérience de volontariat. Le temps millimétrique des montres s’est substitué à la plénitude du ciel. Pas d’horaire véritable, juste des missions à accomplir, en cohérence avec l’environnement que nous occupions.
Pour parler de la ville et de la campagne, du rapport de l’Homme à la terre, cette expérience me semble un bon atout. D’autant plus que je suis passé en quelques jours de mon lopin de terre communautaire à la métropole parisienne en passant par deux capitales asiatiques : Kuala Lumpur et Bangkok. Le contraste est saisissant, presque terrifiant.
Loin de retracer en détail ces deux semaines, j’aimerais insister sur les sentiments et les premières pensées qui ont empli un jeune ingénieur en génie urbain lorsque, après s’être habitué au rythme du soleil, il retrouve la rigueur de la ville dense…
J’ai vu pour la première fois les voitures comme des boîtes de conserves. Comparaison bien connue, entre lire et voir il y a une différence. En Asie, la voiture est un peu plus que reine. La majorité des structures urbaines est conçue pour un transport automobile. Tel un cristal dont la forme et la couleur sont définies par l’arrangement spatial de ses éléments, la voiture structure la forme de l’urbain. Alors dans ce paysage nocturne et métallique, je me suis surpris à pleurer pour mes arbres.
Intérieurement évidemment… nous sommes en ville et il serait mal vu d’exprimer ses émotions. Loin d’être une prison de l’âme, la ville influe cependant sur le moral, les libertés et le bien être. Je m’explique.
La ville n’est pas seulement une concentration d’hommes sur un territoire bétonné. Elle est également l’acceptation d’un mode de vie qui va beaucoup plus loin que le simple loyer à payer. Pour être urbain, il faut accepter la transformation d’une relation qualitative au monde en relation quantitative. Le temps est découpé, la valeur des choses étalonnée, la légitimité d’exister et d’être quelque part dépend de la fonction que vous occupez. Il n’y a pas de place à l’inutile. Même dans la flânerie.
Je vous vois venir, me qualifiant gentiment d’extrémiste idéaliste ou de rêveur anticonformiste. Le monde est tel qu’il est et on a toujours fait comme ça. L’argent est partout. On est trop nombreux pour vivre à un rythme humain. Et si quelqu’un ne travaille pas, c’est qu’il est feignant. Mais pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti à quel point le modèle de société dans lequel nous baignons est imposé. Non par la force, mais par l’illusion du choix et la dépréciation de ce qui n’est pas « urbain », donc moderne.
Je comprends que ces réflexions semblent extrêmes à celui qui est bien installé dans sa vi(ll)e. Avec un bon salaire, un cercle social suffisant, un intérieur plaisant et un week-end à la campagne de temps en temps, il est dur de concevoir ce bien être et ce confort comme une prison. Aussi dorée soit-elle.
Mais bon, j’ai envi de dire que j’ai testé un autre mode de vie. Que ça existe. Qu’il est possible d’être utile sans être contraint. De manger correctement et sainement pour pas cher. De s’abstraire du temps sans générer le chaos. De retrouver un rapport naturel et équilibré avec les autres humains. D’être acteur du sol sur lequel mes pieds se sont posés. D’être en paix et libre.
Cette ferme où j’étais, ce n’était pas un paradis. Juste un endroit différent et ressourçant. Une expérience de volontariat. Une bulle d’humanité à copier et dupliquer partout. Autour des grandes villes et des métropoles.
Pourquoi l’expérience communautaire volontaire est-elle si rare et réservée au voyageur ? C’est un modèle qui me semble compatible avec la ville. Voir indispensable. Je rêve de réitérer l’expérience ici, dans le bassin parisien. Prendre le RER et passer un week-end, une semaine ou plus les mains dans la terre. Il y a réellement quelque chose à faire, de nouveaux modèles simples et pragmatiques à inventer…
Quentin Chance, Ingénieur en génie urbain